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sa mère effleura son visage : un seul geste bref, à la fois pour
exprimer de la compassion et évaluer les dégâts. Elle parla à
voix basse, pour ne pas être entendue depuis la salle à manger.
—
Tu te couches tôt ce soir, pitchoune, dit-elle. Au lit ! Et
mets de la glace sur ton visage avant d’enfler comme un ballon.
Regarde un peu ces marques autour de ton œil… c’est arrivé
comment ?
Nita tira de sa poche les lunettes bousillées, qu’elle posa
tristement sur le comptoir de la cuisine. L’ex-ballerine les
examina d’un air consterné.
—
Ce n’est pas possible ! déclara-t-elle à mi-voix. Nita ?
Qu’est-ce que ces gamines…
—
Je n’ai pas pu les en empêcher, maman. Elles trouvent
ça drôle de réduire en miettes mes affaires. Tu te rappelles mon
lecteur MP3 ?
Avec un soupir, sa mère enveloppa la monture toute tordue
dans une feuille d’essuie-tout avant de la glisser sans bruit dans
un tiroir.
—
On n’aura pas les moyens de les remplacer cette semaine,
déclara-t-elle. Ni même peut-être la semaine prochaine…
—
Je me débrouillerai, dit Nita. Je ne suis pas aveugle.
J’aurai juste un peu plus de mal à lire, c’est tout…
—
De toute façon, la lecture n’est pas une priorité pour ce
soir, ma petite demoiselle ! décréta sa mère, qui tendit la main
pour lui glisser une mèche de cheveux derrière l’oreille et en
retirer par la même occasion une feuille boueuse.
Oh pitié !
pensa Nita.
Au contraire, c’est ma seule soupape
de sécurité en ce moment…
Au-delà de l’attrait étrange du livre
qu’elle avait trouvé à la bibliothèque, la perspective de se retirer du
monde, de se plonger dans une intrigue ordonnée et raisonnable,