Page 12 - Widdershins

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Elle laissa le flot de la fête la repousser peu à peu vers la
grande porte. Le moment était venu pour Madeleine Valois de
se retirer, et de céder la place à une autre invitée. Une invitée qui,
elle, n’avait pas reçu de carton.
*
De nombreuses paires d’yeux regardèrent Madeleine Valois
quitter avec grâce la soirée du baron d’Orreille – tous des
soupirants potentiels navrés de voir une si jolie créature les priver
de sa compagnie.
Tous, sauf un.
Chaque Maison de Davillon possédait ses propres gardes.
Bien qu’ils n’aient pas grand-chose à faire la majeure partie du
temps, on ne pouvait tout simplement pas se passer d’eux : c’était
l’usage. Certaines familles disposaient d’une véritable petite
armée, d’autres se contentaient du premier venu, pourvu qu’il
se tienne droit et sache exécuter des rondes d’un air menaçant,
revêtu d’un uniforme ou engoncé dans une armure à l’ancienne.
Les hommes de Doumerge relevaient en grande partie de la
seconde catégorie – en d’autres termes, le baron se montrait bien
plus laxiste que la milice de la cité en matière de recrutement.
Même si sa main déchiquetée lui avait coûté son poste dans
la célèbre Garde, Henri Roubet n’était donc jamais resté sans
affectation.
Ce n’était pas la première fois que le soldat estropié apercevait
Mademoiselle Valois dans une réception, quoiqu’elle ne l’ait elle-
même jamais remarqué (après tout, passer inaperçu et ne pas
rester dans les jambes des convives faisait partie intégrante de
son travail). Mais jamais, jusqu’à présent, il n’avait pu observer
d’assez près la jeune aristocrate pour confirmer ses doutes quant
à son identité.