Page 19 - Widdershins

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À petites foulées, d’une ombre à l’autre, Widdershins traversa
la propriété. En chemin, elle croisa un grand chien de chasse au
pelage marron qui portait un collier à pointes. L’animal huma
l’air une fois dans sa direction, fronça le museau, poussa un bref
jappement, et l’ignora.
Un de ces jours,
se dit-elle,
il faudra que je demande à Olgun
ce qu’ il leur fait au juste – ou quelle odeur il me donne pour qu’ ils
réagissent de cette façon !
Et, sans rencontrer plus de difficultés, la jeune voleuse
parvint au pied du manoir. Elle se coucha alors à plat ventre et
rampa sous les fenêtres du rez-de-chaussée : après être arrivée
jusque-là, c’eût été un comble de se faire repérer par un serviteur
mélancolique occupé à contempler les étoiles ! Elle attendit
d’avoir atteint une partie de mur aveugle pour se relever.
La façade n’aurait pu lui fournir meilleure échelle : chaque
interstice entre les briques, rempli de mortier, formait comme un
barreau placé là à son intention. En moins de temps qu’il n’en faut
pour le dire, elle progressait à trois mètres du sol, aussi discrète
qu’un chat, plaquée contre le mur, vers la fenêtre la plus proche.
Elle s’arrêta un instant pour maudire les guildes d’artisans
qui, depuis quelques années, proposaient du verre si bon marché
tout aurait été bien plus simple du temps des fenêtres à claire-
voie ou tendues de toile cirée –, puis, à tâtons, elle sortit d’un
étui une fine pointe métallique. D’une main, elle inséra celle-ci
entre les deux battants de la fenêtre, et se retint de l’autre à son
dangereux perchoir. Quelques secondes plus tard, une faible
résistance et un petit claquement lui indiquèrent que la pointe
avait enfin trouvé le loquet. Elle dut s’y reprendre à plusieurs fois,
mais le minuscule crochet en métal finit par quitter son œillet
avant de tomber avec un léger tintement.
En un éclair, l’outil réintégra son fourreau et Widdershins se
retrouva dans une pièce baignée de ténèbres.