Page 22 - Widdershins

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Bon, souffla-t-elle, c’est maintenant que les choses se
corsent.
Prête à s’éclipser en quelques secondes si quelqu’un survenait,
elle s’approcha à pas feutrés de la chambre à coucher.
La porte s’ouvrait vers l’intérieur, hélas : impossible donc
d’en graisser les gonds. Nul doute que le baron ordonnait à ses
serviteurs de les huiler régulièrement – rien n’agace tant les riches
oisifs que ce genre de petits tracas –, mais Widdershins n’aimait
guère s’en remettre à la chance. Cela dit, qu’était la chance, en
fin de compte, sinon une intervention divine ?
Olgun ? Pourrais-tu t’occuper des éventuels craquements
ou grincements de gonds ?
Pour unique réponse, elle eut droit à une pointe de mauvaise
humeur assortie d’une touche de dérision.
Allons, tenta-t-elle de l’amadouer d’une voix douce et
rauque, tu ne vas pas te vexer pour si peu, tout de même ?
Avec un roulement plus qu’ostensible de ses yeux inexistants,
le dieu agita devant la porte des doigts tout aussi imaginaires.
Widdershins perçut dans l’air, tout autour d’elle, le fourmillement
étrange du pouvoir d’Olgun.
Merci, mon beau, le taquina-t-elle. Tu auras droit à une
friandise tout à l’heure, d’accord ?
Série de ronchonnements manifestes.
Avec délicatesse, la voleuse abaissa la poignée de la porte et
l’entrebâilla juste assez pour se glisser à l’intérieur. Les gron­
dements ensommeillés du baron s’intensifièrent, si bien qu’elle eut
l’impression de pénétrer dans l’antre de quelque bête fantastique
prête à la gober toute crue en guise de mise en bouche.
Comme cette sensation s’estompait et que la chambre
s’entêtait à demeurer une chambre, elle referma le battant et
imposa à chacun de ses muscles de se détendre, le temps que sa
vue s’accommode à l’obscurité quasi totale. Par chance, la fenêtre