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sifflotant un air enjoué. Elle portait une tunique vert pâle et des
culottes couleur de terre surmontées d’un gilet noir à garnitures
kaki, une association qui lui donnait un peu l’air d’un arbre
ambulant. Ses cheveux châtains étaient ramassés en une queue-
de-cheval lâche, sa rapière (dont elle avait remis en place la garde
en argent ouvragé) se balançait librement à son côté, et sa bourse
débordait, garnie d’une infime portion de l’or dont elle avait
délesté le baron. L’un dans l’autre, ces deux derniers jours avaient
été fastueux, et elle était bien décidée à partager sa gaieté.
Or, à l’exception d’Olgun, la voleuse n’avait à Davillon
qu’une seule amie assez proche pour se réjouir avec elle de sa
bonne fortune.
Une fois sortie du domaine Doumerge, Widdershins avait fait
un rapide crochet par la venelle pour récupérer son sac avant de se
diriger droit chez elle. La journée suivante – ou ce qui en restait
après un somme bien mérité –, elle avait pris ses précautions et
effectué une tournée de ses diverses cachettes réparties dans toute la
cité, afin de déposer dans chacune d’elles une fraction de son butin.
À présent, elle avait la ferme intention de profiter d’une
petite part de sa toute nouvelle richesse. Indifférente aux regards
courroucés des passants – qui sentaient bien que la mélodie
sifflotée allait leur rester dans la tête –, elle traversa la place du
marché d’un pas nonchalant, grimpa une volée de marches et
franchit la porte de
La Sorcière Désinvolte
.
Une joyeuse flambée crépitait dans l’énorme âtre de pierre.
Des lanternes, accrochées à intervalles irréguliers, éclairaient une
salle commune pleine à craquer de citadins et de clients du bazar
venus étancher leur soif. Le volume sonore approchait celui de la
réception du baron l’avant-veille, mais ce vacarme semblait plus
accueillant, moins agressif en quelque sorte.
Dès qu’elle entra, plusieurs habitués l’interpellèrent ou la
saluèrent gaiement d’un signe de main, et elle leur répondit de