5
mais encore à ensevelir ses restes. Tous les animaux de la création
semblaient figurer au menu, que la bête soit en sauce, en croûte,
farcie ou les dieux savaient quoi encore. Bœuf, gibier, volailles
de toutes les variétés possibles, dix sortes de poissons au moins,
œufs de toutes espèces, escargots, et jusqu’au plus rare des
légumes connus – rien n’y manquait. Les invités avaient beau
se goinfrer sans retenue, une quantité révoltante de nourriture
finirait forcément aux ordures. Le seul fumet des plats aurait
suffi à rassasier un petit appétit.
La demeure avait été préparée avec soin pour accueillir les
réjouissances de la soirée. Tableaux et tapisseries étaient accrochés
le plus haut possible, hors de portée des mains vagabondes et des
assiettes renversées. La plupart dépeignaient des scènes pastorales
ou mythiques, mais on voyait aussi quelques pyramides d’or de
Geurron, divinité protectrice de la famille d’Orreille, et deux
ou trois représentations du soleil couronné de Vercoule, Grand
Protecteur de Davillon.
Des flammes crépitaient joyeusement dans les nombreux
âtres, comme déterminées à égayer la soirée. Les bûches, sau
poudrées d’herbes et de parfums divers, exhalaient un curieux
mélange d’odeurs qui enveloppait les invités avant d’aller se lover
au sommet des piliers et sous les voûtes du plafond. Les tapis, épais
et luxueux, avaient été brossés pour l’occasion. Des serviteurs tirés
à quatre épingles attendaient au garde-à-vous ou s’affairaient çà et
là à disposer les plats et remplir les coupes – bref, accomplissaient
leur rôle de bons chiens dressés à courir et à rapporter.
Au cœur de ce maelström, bousculé de tous côtés par les
remous et les tourbillons incessants de la foule, se tenait un
couple improbable. En dépit de la cohue et de la succession de
sourires vides, de signes de main polis et de menus propos débités
sans conviction, il émanait de ces deux-là une aura de sérénité,
comme si une sphère de calme les entourait.