Page 8 - Widdershins

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Je dois reconnaître, mon cher baron, pérorait la femme d’une
voix suffisante, que vous vous êtes vraiment surpassé. Je ne peux
me rappeler la dernière fois que j’ai assisté à de si brillantes festivités.
Par sa seule expression, sans même avoir à ouvrir la bouche,
elle parvint à ajouter :
Hormis celles que j’ai moi-même organisées,
naturellement.
Le gentilhomme s’inclina avec reconnaissance, le visage en
partie masqué par un foulard qu’il tenait négligemment entre ses
longs doigts arachnéens.
Madame la duchesse est trop bonne, répondit-il d’une
voix grêle et sans timbre.
— 
Je ne vous le fais pas dire ! abonda son interlocutrice.
Béatrice Luchêne, duchesse de Davillon, Voix de Vercoule,
propriétaire et souveraine de tous les territoires revendiqués
par le duché, la province et la cité de Davillon, était à la fois
grande – presque un mètre quatre-vingt – et large d’épaules, de
hanches et de traits. Ses cheveux d’un brun grisonnant formaient
au sommet de son crâne une montagne de boucles qui peinait
à adoucir son visage crispé par les ans. Vêtue de riches teintes
pourpres, rouges et bleues, elle portait une broche en or en forme
de soleil couronné. Son visage était recouvert d’une telle couche
de poudre qu’on aurait dit un paysage de neige fraîche.
Osseux et court sur pattes, son hôte, lui, avait tout d’une fouine
pâlotte. Charles Doumerge, baron d’Orreille, semblait perpétuel­
lement malade. Il était affligé d’une peau grisâtre – nul besoin
pour lui d’utiliser de la poudre –, et de cheveux raides, couleur
paille, qui se raréfiaient plus vite qu’une limace dans une salière.
Même son costume d’une distinction extrême, tout de bleus et de
bruns, ne suffisait pas à lui ôter son air de cadavre ambulant.
Doumerge se pencha vers la duchesse : son nez de rongeur,
telle la proue d’un navire, fendit l’air qui les séparait. Son auguste
cible parvint (non sans peine) à réprimer un mouvement de recul.