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J’ai la chance, lui confia Doumerge d’une voix aussi
basse que le lui permettait la cacophonie ambiante, d’avoir ici
des convives assez… raffinés, si je puis dire, pour apprécier mes
efforts. (Il promena son regard alentour, comme pour s’assurer
que personne ne pouvait l’entendre, avant de poursuivre en
minaudant :) À la vérité, je ne suis pas sûr que tous ici soient
parfaitement à leur place. Pardonnez ma franchise, votre Grâce,
mais j’aurais préféré ne pas inviter, disons… (Il jeta un rapide
coup d’œil autour de lui en quête d’une proie facile.) Le marquis
de Brielles. Cet homme n’a tout simplement pas l’étoffe nécessaire
pour survivre dans notre petite arène, vous en conviendrez.
Mais… enfin, ce pauvre Francis a connu des moments tellement
difficiles ces derniers temps qu’il eût été grossier de ne pas lui
permettre d’échapper un peu à ses tourments. Néanmoins, je
doute qu’il soit vraiment capable de…
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Francis Carnot, objecta la duchesse avec raideur, s’en est
très bien sorti si l’on considère que le titre de marquis devait
revenir à son défunt frère. Je tiens ce gentilhomme pour ami, et
j’attends avec impatience le jour où il sera parvenu à remettre sa
Maison sur pied.
Elle toisa son petit hôte déplaisant d’un air hautain.
Affolé, le baron chercha du regard un prétexte pour changer
de sujet, et ses yeux se posèrent non loin de là sur une autre
invitée : une jolie aristocrate qui, pour l’heure, se tenait seule au
milieu du tumulte des convives, le regard perdu dans le vague.
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Euh… Ah ! Votre Grâce, dit-il en tendant un bras sec
comme une brindille pour saisir de ses doigts maigres le coude
de la jeune femme. Avez-vous déjà rencontré Mademoiselle
Valois ? Non ? Eh bien, dans ce cas, laissez-moi vous la présenter.
Madeleine Valois, voici Béatrice Luchêne, duchesse de Davillon.
L’élégante cligna des yeux à deux reprises, seul signe de son
étonnement, et fit une charmante révérence.