Page 25 - Widdershins

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Elle releva la tête, jeta un dernier coup d’œil en direction du lit
pour s’assurer que tout allait bien…et se figea. Le baron d’Orreille
dormait toujours à poings fermés, mais sa bonne amie, elle, se
tenait assise dans le lit. Terrorisée, les draps serrés contre sa poitrine
nue, elle fixait ce qui, à ses yeux, ne devait être qu’une tache d’un
noir d’encre qui se mouvait dans l’obscurité de la chambre.
Vive comme l’éclair, Widdershins contourna la couche
sans un bruit et plaqua une main gantée sur la bouche de la
courtisane. Sa cible se rejeta en arrière avec un couinement
terrifié, mais n’émit pas d’autre son.
Toujours en silence, la voleuse se pencha presque jusqu’à effleurer
de ses lèvres la joue de la jeune femme. Elle sentit les contours osseux
de son visage – à l’évidence, même avec une clientèle aussi aisée
que le baron et ses pairs, son commerce ne rapportait pas si gros.
— 
Je ne vais pas te faire de mal, souffla l’intruse d’une voix
à peine audible. À condition que tu me laisses tranquille. (Elle
sourit, même si dans le noir, on ne pouvait pas voir son visage
mais peut-être au moins deviner son expression ?) Cinquante
marques d’or. Elles sont à toi, si tu tiens ta langue.
Widdershins ne pouvait pas les lui donner tout de suite : nul
doute que la fille serait fouillée des pieds à la tête à la découverte
du cambriolage. Mais…
La statue du chérubin en train d’uriner. Regarde dans
l’eau juste sous son… euh… (La voleuse remercia l’obscurité qui
masquait le rouge de ses joues.) Enfin, tu m’as comprise.
La demoiselle n’avait bien sûr aucune raison de se fier à
son assaillante. Mais une telle somme représentait le salaire de
plusieurs mois, et, jusque-là, Widdershins ne lui avait fait aucun
mal. Il fallait espérer que cela suffirait à la convaincre.
La courtisane acquiesça d’un signe de tête presque impercep­
tible sous la main qui la bâillonnait. La cambrioleuse poussa un
soupir de soulagement silencieux, et disparut.