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Avec un soupir, la jeune fille s’arma d’un chiffon doux, qu’elle
plongea dans la vasque dont l’eau commençait à tiédir.
En effet, si Charlotte avait atteint son seizième anniversaire,
c’est qu’Ashley, lui, approchait des dix-huit ans. L’âge auquel les
enfants de rebelles élevés dans les Catacombes étaient autorisés
à rejoindre leurs parents dans la lutte. À la perspective du
départ imminent de son frère, le cœur de la jeune fille se serrait
d’amertume. Elle aurait beau l’implorer de toutes ses forces, jamais
il ne la laisserait partir avec lui, elle le savait.
Elle passa le chiffon humide sur ses épaules et le long de ses
bras. Si seulement la caresse du tissu avait pu dissiper son angoisse
en même temps que la crasse de la journée ! Elle s’aspergea le visage,
épongea l’eau ruisselante, et défit sa tresse. Elle passa ensuite les
doigts dans sa chevelure auburn, qui lui arrivait jusqu’au milieu
du dos, pour en défaire les nœuds.
Harassée, incapable de faire plus que ce petit brin de toilette,
Charlotte défit les lacets du bustier qui plaquait contre son torse
son corsage sans manche et entreprit de se libérer de sa prison de
baleines et de cuir.
Ses doigts luttaient toujours avec les cordons quand elle
retourna à la garde-robe pour ouvrir le large tiroir où reposaient
ses corsets. Elle effleura au passage les cuirs aux textures variées,
certains fins, d’autres travaillés dans leur épaisseur, dont les teintes
allaient du fauve au noir d’obsidienne. Son trésor le plus précieux,
des pièces de vêtement héritées, pour certaines, de sa mère.
Une voix retentit soudain derrière elle, lui arrachant un cri de
surprise.
—Alors comme ça, il est l’heure de dormir ?