32
Lorsque, décontenancée, elle s’était laissé convaincre d’ouvrir
le coffret, elle en était restée bouche bée : une petite musique
obsédante égrenait ses notes tintinnabulantes tandis qu’un
minuscule jardin de feuilles, d’herbes et de fleurs métalliques
commençait à croître sous ses yeux. Les plantes se rétractaient
ensuite à la fermeture du couvercle, pour mieux repousser la fois
suivante.
À en croire Jack, cette mélodie s’intitulait
La Sonate au Clair
de lune
. C’était l’œuvre d’un compositeur allemand nommé
Beethoven. Un des forgerons employé quelques mois plus tôt à
la Grande Fonderie conservait en secret des chutes de métal pour
en tirer d’extraordinaires boîtes à musique qu’il vendait ensuite au
marché noir. Lorsque Jack avait fui le bruit et la fureur de l’usine
tentaculaire, l’homme lui en avait donné une afin de lui servir de
monnaie d’échange au cours de ses voyages.
Ce cadeau extravagant avait laissé Charlotte pantoise. La tête
encore emplie des sonorités cristallines, fascinée par le mouvement
des fleurs métalliques sous ses doigts, Charlotte avait tenté de
refuser l’objet. C’était compter sans l’insistance du garçon.
Depuis ce jour, elle s’était rendue à deux évidences. La
première : que Jack avait décidément des ressources insoupçonnées.
Et la seconde : qu’après réflexion, les Catacombes étaient bien
assez grandes, et ce même pour deux personnalités aussi hautes
en couleur que les leurs.
Ils étaient loin d’être des amis – ou même des alliés –, mais
leur rivalité des débuts s’était muée en une sorte de joute jouissive.
Au gré de leurs chamailleries, Charlotte avait découvert que, si
pénible que puisse se montrer Jack, lorsqu’il n’était pas là pour
la provoquer, sa présence lui manquait étrangement. Elle adorait
exercer sa langue acérée aux dépens du jeune homme.
Elle prit l’habitude d’écouter sans cesse sa boîte à musique,
dont la mélodie la hantait. Elle l’emportait partout dans les
Catacombes afin de pouvoir la porter à son oreille à tout moment.